« En 2034, Internet a complètement fini de redistribuer les cartes »

Question d’un homme de 2014 à un habitant de 2034.Cette "interview du futur" - une spécialité Usbek & Rica - a initialement été publiée dans le premier numéro de UnPossible, le magazine prospectif de la Communauté Innovation by Renault, en partenariat avec Kopilote.

Edwin, toi qui vit dans 30 ans, raconte moi comment ça se passe, « là-bas »…

Avec plaisir. On commence par quoi ? Eh bien, je ne sais pas moi. Est-ce qu’on aura des superpouvoirs, par exemple ? Ah ah ! Oui, en quelque sorte. Mais pas comme tu l’imagines. Les hommes, les femmes et les indéterminés de 2034 possèdent le don d’ubiquité avec les nouvelles générations de Google glass : les lentilles connectées. Ce n’est pas le corps, mais le cerveau qui voyage. De même, tout notre corps est augmenté, avec les exosquelettes notamment. Et puis on arrive à téléporter des objets, mais tu le sais sûrement puisque ce qu’on utilise aujourd’hui ne sont que les évolutions de ce qu’on appelait à l’époque l’impression 3D ! En envoyant un objet d’un bout à l’autre de la planète, c’est comme s’il voyageait dans l’espace-temps, en quelque sorte.

C’est comment la France en 2034 ?

C’est devenu très sympa ! Notre vieux pays d’ingénieurs a su s’ouvrir à de nouvelles pratiques, métiers et compétences. Les pôles urbains comptent maintenant plus que le pays en tant que tel et nous faisons partie des principaux pôles d’innovation de la planète. On est passé du TGV au covoiturage. Où en sont la Chine, les Etats-Unis… ? Comme je te l’ai dit, les pôles urbains ont vu leurs influences croître jusqu’à prendre le pas sur les pays. Tokyo, Hong-Kong, Dubaï… Les pays tournent autour des villes, et non l’inverse. Ce qui rend le monde encore plus multipolaire qu’à ton époque.

Justement, à quoi ressemblent ces villes ? Il y a des voitures volantes ?

Non ! Ce qu’il faut comprendre, c’est que les villes elles-mêmes sont devenues multipolaires. Chaque centre possède son propre écosystème. On a moins besoin de se déplacer tous ensemble, en même temps. Résultat, la ville est plus fluide, même si on ne peut pas changer tout un système d’un coup : on a toujours des claviers AZERTY et on monte toujours dans les avions par la gauche.

Comment fonctionne le système économique ? Comment Internet et l’économie collaborative ont fait évoluer les choses ?

Ah, ça devient sérieux je vois ! Eh bien, cher ami, sache que tout a changé plus que tu ne crois. A ton époque, que j’ai un peu connu aussi, on arrivait encore à vendre le même produit à des milliers, voire des millions de personnes. C’est impensable aujourd’hui ! On est passé de l’industrie de masse à "l’industrie de la localité". Chaque produit est individualisé. Pour que tu en mesures l’ampleur, il faut que tu essayes d’imaginer ce que peut devenir, par exemple, la voiture : aujourd’hui, en 2034, il existe des voitures standardisées, mais personnalisables et en location, sur le modèle AutoLib’, car la propriété est devenue obsolète. Je me souviens que dès 2015, Mac Do prévoyait de distribuer les jouets des happy meals en les imprimant. Fini les jouets garçon et les jouets fille, il n’y aurait plus que des jouets pour chacun. Eh bien, c’est devenu la règle. Là est la vraie révolution.

Ce sont donc les usages qui ont changé ?

Exactement. Regarde ce qu’en 2013 un homme comme Vincent Feltesse, le président de la Communauté Urbaine de Bordeaux, proposait : pour éviter les bouchons sur le périph bordelais, il suffisait d’après lui de faire passer le ratio de 6 passagers pour 5 voitures à 7 passagers pour 5 voitures. Ainsi, plus la peine de construire une troisième voie sur la chaussée. Avec les mêmes infrastructures mais des comportements différents, il pensait réduire le trafic de 15%. C’est ce qui s’est passé ! Ce sont des choses simples, qui ne demandent pas beaucoup d’investissement. Juste un peu de bon sens.

A t’entendre, chacun fait un peu ce qu’il veut dans son coin. Mais alors, qu’est-ce qui nous relie les uns les autres ?

La culture ! Internet a permis de libérer la créativité et de créer des marchés de niche insoupçonnables. On se parle entre fans de SF ou de cuisine, entre collectionneurs de timbres ou d’icones anciennes. Terminée la discussion à la machine à café. Désormais, on croise nos passions, et cette conversation planétaire est passionnante, car nous avons tous plusieurs centres d’intérêts.

Que deviennent les partis politiques ?

Comme tu l’imagines, ils ont énormément muté. A ton époque, on a assisté à la fin de règne du clivage gauche-droite issu de la société industrielle. Désormais, Internet a complètement fini de redistribuer les cartes. Il n’y a plus de famille politique unifiante, mais des majorités par thème. Quant aux hommes politiques, ils ne « gouvernent » plus, ce sont des facilitateurs qui ne sont plus payés comme s’ils avaient un métier, mais rémunérés pour leur compétence dans tel ou tel domaine.

C’est mieux de vivre en 2034 ou en 2014 ?

Franchement il n’y a pas photo. Tu veux venir ? Propos recueillis par Dany Wilde