A peine 20 ans et déjà militants : l'engagement comme remède à la désillusion

ENTRETIEN #RET avec Vipulan Puvaneswaran et Hajar Ouahbi. Âgés de 22 et 18 ans, Vipulan et Hajar sont deux visages d’une génération que certains appellent la génération climat. Étudiants et militants, conscients du dérèglement climatique et sensibles à la justice sociale, nous avons voulu en savoir plus sur les origines et les moteurs de leur engagement.

Cet article a été rédigé suite aux Rencontres de l’Ecologie et du Travail, un événement organisé par le Printemps Écologique et Ouishare, soutenu par l'Ademe Ile de France, la MAIF et AG2R la mondiale et qui a eu lieu les 29, 30 avril et 1er mai 2022 à la Cité Fertile de Pantin. Vipulan Puvaneswaran et Hajar Ouahbi intervenaient lors de l’ouverture de l'événement ; nous en avons profité pour nous entretenir plus longuement avec eux… 

Vous faites partie de ce qu’on appelle aujourd’hui la “génération climat”. Comment votre engagement a-t-il commencé ? 

Vipulan Puvaneswaran : J’ai commencé en agissant à mon échelle, seul. Ensuite, pour avoir plus d’impact, j’ai rejoint un collectif et participé à mes premières grèves pour le climat. Il m’a semblé plus facile de trouver ma place dans des rassemblements, qui étaient organisés par des jeunes, que dans des associations plus classiques, souvent gérées par des personnes plus âgées. Petit à petit, je me suis politisé et nourri intellectuellement. Mon engagement n’est pas né d’un déclic. C’est le fruit d’une évolution progressive liée à des rencontres, des lectures et des échanges. Entre le début du tournage du film Animal de Cyril Dion, auquel j’ai  participé, sa fin et aujourd’hui, j’ai encore beaucoup évolué !

Hajar Ouahbi : De mon côté, j’ai eu un véritable déclic lorsque ma petite sœur est devenue végétarienne. J’ai réalisé qu’elle avait pris conscience de quelque chose dont je n’avais moi-même pas conscience, alors que je suis l’aînée ! Je me suis dit que si elle s’engageait alors qu’elle était au collège, alors moi aussi je le pouvais. Et en prenant le temps d’y réfléchir, je me suis demandée comment on pouvait s'autoriser à ingérer des choses sans savoir dans quelles conditions elles avaient été produites. Cela m’a tout de suite semblé impensable d’être à ce point déconnectés de notre système de production alimentaire, en particulier animale. 

“La logique du capitalisme et de nos modes de travail est contraire à l’écologie, qui se fonde sur l’interdépendance du vivant” Vipulan Puvaneswaran

Et aujourd’hui, comment se traduit votre engagement ?

H. O. : Mon objectif est simple : rendre visibles et tangibles les liens entre écologie et justice sociale. Je m’intéresse au caractère intime de l’écologie, c’est-à-dire à ses implications concrètes, pour nous tout-es, dans nos modes de vie. Pour ce faire, mon action se situe à trois niveaux. Je mène des actions de plaidoyer, en rédigeant des recommandations politiques par exemple. C’est un engagement de long terme, qui peut se révéler ingrat puisqu’on obtient rarement des résultats à court terme. Je milite au sein de collectifs pour visibiliser nos luttes, créer des passerelles entre différents mouvements et provoquer un effet réseau. Cette action se passe davantage dans la rue. Enfin, je m’engage à mon échelle personnelle, en faisant évoluer mes comportements et habitudes et en sensibilisant mes proches. C’est l’action qui m’importe le plus : susciter la curiosité et l’adhésion de mes proches, sans les culpabiliser, pour qu’à leur tour, ils rejoignent le mouvement. 

V. P. : Comme Hajar, mon engagement est premièrement personnel et se traduit par exemple par mon véganisme. Ensuite, je m’investis dans de nombreux collectifs qui pratiquent l’action directe et de manière partielle chez Youth for climate. A ce titre, j'ai récemment rejoint les occupations des facultés pour dénoncer l’absence d’alternative au second tour des élections présidentielles. Je participe également à des maraudes pour créer du lien avec des personnes qui en ont besoin. Enfin, j’anime des projections/débats autour de film Animal.

Quel lien faites-vous entre l’écologie et le travail ?

V. P. : Je suis très attaché au terme d'écologie et le préfère au terme d’environnementalisme, avec lequel on le confond souvent. Alors que l’environnementalisme fait référence à quelque chose d’extérieur à nous et d'essentialisé, l’écologie au contraire nous inclut et nous lie aux autres. De la même façon, je pense qu’il faut abandonner le terme de nature qui a été construit par opposition à la culture. La nature n’est pas extérieure à nous ; elle fait partie de nous. Je préfère donc parler de vivant. L’écologie, c’est donc une science des relations du monde vivant qui invite à se défaire de toutes les relations aliénantes dans notre société pour en construire de nouvelles, libérées et libératrices. L’écologie ne peut donc pas ne pas s’intéresser à nos relations de travail !

Or, aujourd’hui, j’observe que le travail se caractérise par un double mouvement d’exploitation et d’appropriation du vivant. La logique du capitalisme et de nos modes de travail est ainsi contraire à l’écologie, qui se fonde sur l’interdépendance du vivant. Cela me rappelle une rencontre que j’ai faite pendant le tournage d’Animal avec un éleveur de lapins. Je me suis rendu compte que l’éleveur maltraitait les lapins - qui étaient enfermés dans des cages, les uns sur les autres - autant que le système le maltraitait. Avec une rémunération d’environ 350 euros par mois, lui aussi était pris au piège. Tant qu’on entretiendra des relations aliénantes avec les humains, on fera de même avec le vivant non humain. C’est ce que certains appellent une crise de la sensibilité : quand on est confronté à une trop grande vulnérabilité dans sa propre vie, on se crée une carapace d'insensibilité vis-à-vis de tout ce qui nous entoure, humain ou non humain. C’est pour cette raison que j’en appelle, avec Baptiste Morizot notamment, à une nouvelle alliance entre les luttes sociale et écologique. Je crois dans une nouvelle attention politique conjointe au vivant humain et au vivant non humain.

Nos façons de travailler sont contraires à l’écologie… comment faudrait-il les faire évoluer ?

H. O. : Le terme de travail est sujet à débat : personne n'est d'accord sur son étymologie. On se réfère parfois au terme tripalium qui nous vient du latin et désigne “l’objet de torture”, parfois au terme laborans qui évoque plutôt le labeur… En réalité, on a fait du travail un objet de labeur et de torture par choix politique, en optant pour le productivisme. Mais comme c’est un choix politique, libre à nous de le remettre en question et de proposer une autre façon d'envisager le travail ! De mon côté, je crois que l’avenir du travail réside dans le travail créatif. Je crois aussi qu’il faut diminuer le temps de travail et réserver à chacun-e un temps pour la contemplation et la réflexion. Aujourd’hui, tout le monde court après le temps et personne n’a plus le temps de rien... y compris de bien manger, alors que c’est essentiel ! Il faut donc nous réapproprier notre temps. C’est un enjeu politique, mais aussi de justice sociale. Quand on est pauvre, on travaille beaucoup, on pense à la fin du mois, et on n'a souvent pas le temps de penser à l’écologie. C’est un vrai problème !

“Dénoncer les incohérences du système sans nommer les personnes responsables, c’est de l’angélisme.” Hajar Ouahbi

Remettre en cause nos modes de production et la manière dont on travaille aujourd’hui  invite à repenser le système dans lequel nous vivons. N’est-ce pas déstabilisant de grandir dans un système qui semble profondément défaillant, et de le conscientiser ?

H. O. : Issue de la classe populaire, je crois que j’ai toujours remis en cause le système. Je me suis, par exemple, toujours demandée pourquoi mes camarades de classe avaient des modes de vie différents, pourquoi ces personnes pouvaient accéder à des produits auxquels je n’avais pas accès. Toutes ces petites choses qui composaient mon quotidien m’interrogeaient. Et à force de tirer le fil, j’ai fini par me rendre compte que ces injustices du quotidien avaient une origine commune : le système dans lequel nous évoluions. 

Je crois que nous, “les jeunes”, remettons beaucoup en question le système parce que nous sommes nés à un moment où il a commencé à se fissurer. Je ne dis pas que ce n’était pas le cas avant, mais c’était certainement moins criant dans les années 80-90. Aujourd’hui, on voit vraiment que le modèle est à bout de souffle et qu’il atteint des limites : les limites de la démocratie représentative avec l’élection présidentielle qui vient de s’achever ; les limites de la planète avec la parution du dernier rapport du GIEC… 

Si le militantisme peut être galvanisant, il est facile de se décourager quand malgré tout ce que l’on fait, rien ne change. Et vous, comment vivez-vous votre militantisme ? 

H. O. : "On est fatigués ma gueule, il n'y a plus rien à faire…!" c’est la phrase qu’on se lance souvent entre nous. Elle en dit long, car oui, il y a de la fatigue, mais surtout de la colère… Au-delà du système, j’en veux aux personnes qui le perpétuent parmi eux le PDG de Total. Et désormais, je n’hésite plus à le citer : dénoncer les incohérences du système sans nommer les personnes responsables, c’est de l’angélisme. Mettre des noms, ça rend la lutte plus tangible et réelle. 

V. P. : J’oscille entre fatigue, colère et parfois rage… Mais je continue car je ne souhaite pas tomber dans la tentation de la collapsologie où l’on finit par se dire “foutu pour foutu…". J’y vois une impasse. Pour autant, je suis agacé par la vision esthétisée de la lutte et notamment par les messages entendus lors de l’élection présidentielle qui appelaient à voter “pour le coeur”, par conviction, voire par plaisir. Moi je n’ai pas voté par plaisir et ces appels me rappellent une phrase d’Edouard Louis qui dit que la politique pour les dominants, c'est une question d'esthétique alors que pour les dominés, il est question de vie ou de mort… Je ressens de la colère contre les personnes qui se disent conscientes des basculements en cours et des changements nécessaires à opérer tout en continuant leur train-train quotidien en pensant que c’est grâce à leur bon dossier académique qu’elles régleront le problème. Ca me semble complètement déconnecté du réel. 

On qualifie souvent les jeunes d’utopistes et de rêveurs. Vous sentez-vous équipés pour faire face à ces discours qui visent à vous discréditer ?

V. P. : Pour la promotion du film Animal, j’ai participé à une émission sur France Télévision avec Cyril Dion et un député Les Républicains réputé engagé sur les questions écologiques. Je me suis rapidement rendu compte qu’il était totalement à côté de la plaque, si bien qu’au fur et à mesure que j’expliquais ce qu’était l'écologie, j’ai vu son visage se décomposer... Ce que je réponds aux personnes qui remettent en cause nos propos est assez simple. Je leur dis : “Lisez ! Formez-vous ! Prenez du temps pour développer vos connaissances sur le sujet, allez parler à des spécialistes !”

H. O. : Et à ce moment-là, quand on réussit à prendre l’ascendant sur des personnes politiques qui tentent de minimiser nos propos, on se sent vraiment galvanisé ! Moi, ce que je leur partage pour défendre ma position, ce sont des témoignages d’hommes et de femmes ordinaires, avec qui j’ai pris le temps de discuter pour comprendre leur situation. Cela permet d’ancrer mon propos dans le réel et d’éviter d’être hors sol. Cela me rend plus convaincante.

Vous avez 20 ans et vous êtes étudiants et activistes. Et à 30 ans ? Savez-vous dans quelle direction vous souhaiteriez aller ?

H. O. : Il est difficile de se projeter avec toutes les instabilités existantes : quel sera  l'état de la société, du vivant, de la planète dans dix ans ? Je me concentre davantage sur les valeurs que je veux mettre au centre de ma vie : l'engagement et la transmission. Je souhaite continuer d’évoluer dans des espaces où la transmission est mise au centre.

V. P. : Je souhaite repenser nos relations aux animaux, et notamment dans l'élevage. Je trouve qu’il y a un impensé aujourd'hui entre d'un côté un antispécisme historique qui a ses défauts et de l’autre l’essentialisation de l'élevage paysan. J’ai envie d’explorer et de découvrir comment se tisse notre rapport aux animaux de l’élevage dans d'autres sociétés et comment il serait possible de l’appliquer en France. Ce qui est certain, c’est que j’aurai toujours à cœur de mener des actions qui sont utiles socialement.

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Hajar Ouahbi a 22 ans. Elle poursuit des études en développement local et études post coloniales. Elle milite pour la justice climatique et sociale dans différentes sphères : dans la rue, au sein de Youth and Environment Europe et de Different leaders, un collectif de 150 individus qui promeuvent un leadership éthique, responsable et inclusif pour un monde plus juste, équitable et durable.

Vipulan Puvaneswaran a 18 ans. Il étudie en sciences du développement durable et est également militant écologiste dans plusieurs collectifs. Il a participé au film Animal, réalisé par Cyril Dion en 2021.

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