Civic tech cherche citoyen(ne)s

Des millions de citoyens affirment à voix haute qu’ils ne veulent plus d’un régime centralisé tirant sa légitimité d’une démocratie « éclairée ». Ils sont pourtant peu nombreux à s’impliquer sur les outils proposés par la civic tech. Ce phénomène encore flou peut-il réussir à mettre les décisions entre les mains de tous les citoyens ? Elle en a fait du chemin, la démocratie participative, en dix ans. Passant du stade de « désir d’avenir » à une aspiration profonde et urgente pour certains citoyens, elle a pris chair dans des domaines et des lieux très différents. Mais pourquoi, alors que la participation est partie intégrante de la définition de la démocratie, “le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple”, reste-t-elle limitée à une minorité active?

Le Grand Soir de la démocratie directe semble encore loin...

Ainsi, la plateforme de « co-écriture » de la loi pour une République numérique a attiré 21 000 contributeurs l’année derrière. LaPrimaire.org qui avait vocation à faire émerger une candidature citoyenne à la présidentielle a rassemblée 32 685 votants et permis à sa candidate désignée, Charlotte Marchandise, de recueillir un quart des parrainages d’élus requis pour se présenter. Dans le meilleur des cas, celui du village drômois de Saillans où une liste collective a gagné la mairie en 2014, c’est un quart des habitants qui ont participé aux commissions participatives et aux groupes thématiques action-projet. Ce n’est pourtant pas l’intérêt pour le changement qui manque.

De quoi la civic tech est-elle le nom ?

La phase d’émergence de la civic tech permet un débat politique en profondeur, puisque les outils qui marcheront seront ceux qui serviront l’aspiration profonde de la majorité des citoyens. La civic tech ne rencontrera pas la demande citoyenne si elle l’infantilise ou la dépolitise. Un clic n’est pas une opinion, le sondage ou la pétition ne peuvent pas conduire une action politique digne de ce nom. Au fond, la civic tech cherche le point de cohérence entre des forces a priori opposés (les élus et les institutions contre les citoyens, l’open source contre le logiciel propriétaire…) qui la presse à définir sa nature propre. Si elle est politique et qu’elle veut que la décision soit réellement partagée, la civic tech doit pour cela résoudre “les dilemmes

concrets de la participation”, soulevés par le professeur en sciences politiques Loïc Blondiaux (Paris 1) : dilemme de la représentativité (représentativité statistique ou politique ?), de l’égalité (lieux d’intégration ou fabriques d’exclusion politique ?), de l’échelle (politique de proximité ou incitation à la montée en généralité ?), de la compétence (argumentation rationnelle contre expertise profane), du conflit (fabriques de consensus ou lieux de controverse ?) et de la décision (leurres démocratiques ou partage des responsabilités ?).

La phase d’émergence de la civic tech permet un débat politique en profondeur, puisque les outils qui marcheront seront ceux qui serviront l’aspiration profonde de la majorité des citoyens.

Dans la civic tech, le solutionnisme est politique, pas technologique.

L’outil doit équiper des collectifs citoyens qui veulent prendre leurs responsabilités, leur permettre de s’organiser et d’accélérer le mouvement d’éducation politique. La civic tech promet aux citoyens de faire vivre leurs idées politiques au quotidien en leur permettant de s’informer, se mobiliser, de représenter, décider et évaluer. Mais cette injonction à participer restera paradoxale si la civic tech se trompe de temporalité. Le temps politique n’est pas celui de l’économie. Les transformations sont lentes et profondes, l’échelle reste la génération. La logique de mise à l’échelle rapide et de coût marginal zéro propre aux start up ne prend pas dans la civic tech, ce qui oblige ses acteurs à offrir, s’ils veulent survivre, leurs services à des institutions politiques voulant développer la consultation pour légitimer au fond leurs pouvoirs. C’est donc nous, citoyens engagés, qui manquons aujourd’hui à la civic tech pour changer la démocratie. Nous pouvons nous mobiliser et utiliser ces plateformes non comme une fin mais comme un moyen d’expérimenter sur nos territoires rien moins que la démocratie directe. La civic tech qui fonctionne le mieux est locale, comme on le voit déjà à Medellin, Madrid ou Barcelone. Même si Saillans refuse d’être un modèle, c’est une démocratie directe à ciel ouvert où les outils de décision se passe de la technologie.

Le temps politique n’est pas celui de l’économie. Les transformations sont lentes et profondes, l’échelle reste la génération.

Aux armes citoyens !

La civic tech ne pourra survivre en demeurant le cache-misère d’une démocratie en crise. Un jour, nous devrons, comme citoyens, les utiliser pour remplir notre objectif politique et la faire sortir de la cohabitation forcée avec nos institutions bousculées en les utilisant. Son destin est lié au nôtre, nous devons nous offrir l’occasion de sortir de l’impasse démocratique vers une forme directe et participative.

Le destin de la civic tech est lié au nôtre, nous devons nous offrir l’occasion de sortir de l’impasse démocratique vers une forme directe et participative.

Pour poursuivre la discussion, retrouvez nous ce mardi 21 mars au Square Paris pour notre 4ème événement Warm Up du OuiShare Fest 2017 : Civic Tech cherche citoyen.ne.s.