Communautés d'intérêt, communautés de valeurs

Cette semaine encore, nous poursuivons notre dissection minutieuse des communautés. Ces dernières peuvent se distinguer par leurs degrés d'ouverture ou de diversité. Très bien. Mais au fait, qu'est-ce qui nous pousse à faire société en premier lieu ?

Comprendre les communautés (3/4)

Cette semaine encore, nous poursuivons notre dissection minutieuse des communautés. Ces dernières peuvent se distinguer par leurs degrés d'ouverture ou de diversité. Très bien. Mais au fait, qu'est-ce qui nous pousse à faire société en premier lieu ?

Sommes-nous ensemble parce que nous nous ressemblons ou parce que nous avons à gagner à œuvrer dans le même sens ? Pour dire les choses autrement, la raison d'être de la communauté réside-t-elle dans sa mission ou dans son essence ?

Ce troisième axe de notre étude sur les communauté est un peu différent des autres, car les deux polarités ne sont pas exclusives l'une de l'autre : une communauté peut être à la fois communauté d'intérêt et de valeurs. On peut même dire que, dans un environnement stable, les deux axes auront tendance à se confondre.

Le terme de communauté vient du latin cum numus, c’est-à-dire, une chose en commun. Cette « chose », ce patrimoine commun peut être dissociable de soi (la maison, l’usine, l’entreprise, le village, le pays, les ressources naturelles, etc.) ou au contraire indissociable (liens familiaux, langue, identité religieuse, connaissances ou savoir-faire partagés, etc.). Dans le premier cas, nous obtiendrons une communauté d’intérêt, et dans le second, une communauté de valeur.

Cet axe intérêt/valeurs est essentiel pour comprendre lesintentionsqui animent les communautés et leurs politiques vis-à-vis des autres communautés.

Communautés d’intérêt

Les communautés d'intérêt sont basées sur le postulat partagé de l’existence d’un objectif qui profiterait à tous, que cela soit par ailleurs vrai ou non.

Il s'agit de communautés basées sur une forme de contrat social où chaque membre reconnaît une direction à prendre et consent à quelques concessions pour y parvenir.

Elles sont tournées vers l’action, vers le futur et se veulent plus raisonnables dans la mesure où elles ne souhaitent pas sacrifier leur intérêts pour défendre à tout prix une identité. Mais le revers de la médaille, c’est que les intérêts sont par nature changeants et éphémères. Ainsi une communauté basée sur l’intérêt est souvent moins résiliente à long terme.

Les communautés d’intérêt peuvent mettre en mouvement des individus très différents, ce qui permet de préserver une diversité interne à la communauté. Chacun peut, dans ce contexte apporter sa pierre à l’édifice en dépit de profondes différences de nature. Les Alliés, pendant la Seconde Guerre mondiale, constituent un bon exemple de communauté de ce genre. Seul l’objectif impérieux de mettre fin à l’expansion des forces de l’Axe a pu justifier la collaboration étroite entre un dictateur soviétique, un aristocrate britannique et un démocrate américain ! Seule la lutte pour la victoire pouvait faire agir de concert une amérique libérale et isolationniste, un Royaume-Uni impérialiste et une Russie soviétique. La fin de la guerre a très vite levé le doute sur l’antagonisme profond qui existait entre les Alliés…

A noter qu’en pratique, les choses sont toujours plus compliquées. Les intérêts ne sont pas toujours bien clairs et se superposent à la manière des couches d'un oignon. On le voit fréquemment au sein des partis politiques, où l’intérêt commun est de porter le parti au pouvoir, alors que les intérêts particuliers - généralement obtenir tel ou tel poste - sont parfois franchement antagonistes…

De même, la pratique de l’action commune génère inévitablement une histoire commune et des habitudes qui finissent par s’ancrer dans l’identité profonde des membres et tend à créer à terme une proximité identitaire donnant naissance à une communauté de valeurs. C’est ainsi que se forment des communautés de valeurs qui se superposent aux communautés d’intérêt, jusqu'à parfois finir par s'y substituer complètement.

Avantages :

  • Permet de mettre sur pied des actions de groupe cohérentes
  • Permet d’unir des membres très différents
  • Permet de rester pragmatique et mesuré dans ses actions

Inconvénients :

  • Repose sur des intérêts souvent éphémères
  • Solidarité assez faible entre membres
  • Incompréhensions et frictions fréquentes

Communautés de valeurs

Les communautés de valeurs ne sont pas basées sur l’adhésion à un contrat plus ou moins explicitement formulé mais sur la reconnaissance d’un lien identitaire.

Leurs membres se sentent appartenir au même ensemble familial, culturel, linguistique, national, religieux, etc.

Puisque la « chose commune » réside dans l’être, elle ne peut véritablement s’échanger, se répartir ou se négocier. Je ne peux pas échanger ma langue maternelle contre une autre, alors que je peux quitter mon pays et m’installer ailleurs. Pour cette raison, les communautés de valeurs peuvent moins facilement faire de compromis que les communautés d’intérêt.

Les communautés de valeurs savent se défendre si elles se perçoivent comme menacées mais ont du mal à mener des politiques d’anticipation ou de compromis. Ce qui ne veut pas dire qu'elles ne savent pas s'adapter ni se réformer.

Elles possèdent un fort instinct de survie et des « traits de caractère » qui peuvent les orienter vers telle ou telle action, mais pas de volontés explicitement formulées qui pourraient se traduire en décisions concrètes.

Plus conformistes et ne reposant pas sur un consensus positif, elles ne demandent pas toujours l’avis de leurs membres. En revanche, elle intègrent, éduquent, inspirent et structurent les individus.

A noter qu’au sein même des communautés de valeurs se mettent en place des sous-communautés basées sur des nuances au sein du spectre de valeurs, nuances qui peuvent ensuite devenir clivantes et conflictuelles comme on le voit souvent dans des cas religieux (Chiisme/Sunnisme, Catholicisme/Protestantisme, etc.). On se présentera ainsi comme musulman en Occident, comme sunnite en Irak, ou comme hanafiste à Ramadi.

Avantages :

  • Solidarité interne qui ne dépend pas des circonstances
  • Proximité dans la vision du monde
  • Solidarité forte entre les membres

Inconvénients :

  • Difficulté pour les individus de la communauté à identifier leurs intérêts réels
  • Tendance à l’isolement et à l'affirmation excessive de son identité
  • Pas toujours capable de mener des actions communes planifiées

Image à la une : By US government photographer [Public domain], via Wikimedia CommonsCet article appartient à une série de 4 billets sur les communautés. Retrouvez les épisodes précédents; communautés ouvertes/fermées et les communautés homogènes/hétérogènes en cliquant sur les liens.