Les fallacieux arguments de la consommation collaborative

Et si nous nous trompions d'arguments depuis le départ ? Et si, les bienfaits de l'économie collaborative sur l'environnement et l'économie dans son ensemble n'étaient pas les meilleurs arguments pour convaincre et sensibiliser la société ? C'est l'opinion de Marc Chataigner, ancien co-fondateur de Super-Marmite. À lire et relire des articles sur le mouvement émergent de l'économie collaborative, ou à écouter des interviews ou des reportages, reviennent inlassablement les “trois arguments” phares pour expliquer ce en quoi cette nouvelle économie du partage a un avenir radieux :

  • Un gain économique. Grâce à la consommation collaborative, l’utilisateur final ferait une économie financière, car les biens ou services proposés sur ces plateformes sont moins chers qu’ailleurs.
  • Un gain écologique. Les biens et services proposés sont souvent soient prêtés, loués, voire partagés. Ces pratiques serait à l’origine d’un usage plus efficient des biens de consommation. L’exemple de la perceuse est souvent cité.
  • Un gain social. Les services étant opérés entre particuliers, dans une zone géographique souvent restreinte, ils seraient aussi des vecteurs capables de recréer des liens de proximité, voire un voisinage actif.

Hélas, ces trois arguments ne reflètent pas du tout l'experience que j'ai eu en participant à la construction d'une communauté autour d'un service de consommation collaborative.

"Notre motivation était de monter une Startup, pas de changer le monde"

Au début de l'aventure Super-Marmite avec Olivier et Cyril, j’ai eu l’occasion d’aller interviewer des utilisateurs/trices de notre service. Constat frappant : aucun n’avait souscrit au service pour prendre part au mouvement de l’économie du partage. Pas plus que nous trois d’ailleurs : notre motivation était avant tout de monter une startup, pas de changer le monde. Les raisons pour lesquelles les cuisiniers s’inscrivaient étaient de ne pas jeter des restes, ou d’avoir une occasion de cuisiner une blanquette, chose impossible d’ordinaire pour une personne vivant seule. Pour d'autres encore, leur motivation était d’avoir des retours “fiables” et “pertinents” sur leurs plats, car les avis d’amis restent biaisés, ou encore de pouvoir tester de nouvelles recettes et d’avoir les retours d’une clientèle potentielle, avant d’ouvrir un jour son propre restaurant. Du côté des acheteurs, les motivations allaient de l'occasion de sortie à la découverte de nouvelles adresses à proximité, comme s'ils recherchaient les derniers restos à la mode - et bien sûr de manger des plats frais et faits maison.

Vous voyez de “l’économie collaborative” là-dedans ?

Où est le gain économique, écologique ou social ? Nulle part. Juste une réponse - parmi d’autres - au quotidien des cuisiniers urbains et autres gastronomes. Et je suis prêt à parier qu’il en va de même pour le partage d’appartements, de voitures, ou de fringues… Les vraies motivations d’adhésion sont celles qui améliorent le quotidien. À court terme et sans engagement, s'il vous plait. Autrement dit, les trois arguments de la consommation collaborative sont peut-être - et je n’en suis même pas convaincu - des “raisons de réachat” comme on dit dans le language marketing, mais ce ne sont pas des “leviers d’adhésion”. Car ces “bénéfices” ne sont pas visibles a priori et n’existent réellement que sur du long terme. Et même si ces trois arguments sont les raisons pour lesquelles des personnes adhèrent à ces services, cela est dommageable : le premier argument reste dans la lignée de la société de consommation pure - “faites des économies”, alors que le second n’est qu’une justification morale qui reste à prouver à l’usage et constitue une certaine forme de green washing. Quant au troisième, c'est juste un effet de mode cool. Ces arguments peuvent même paraître fallacieux car ils sont difficilement palpables aux premiers usages. Ils sont tout simplement, de la part des journalistes, des arguments de vente de médias à l’intention des consommateurs de masse. En d’autres termes, ils sont plus porteur d’un effet de mode que d’un mouvement durable.

Assumons le "système D" que nous construisons !

Ce que l'on peut remarquer en revanche, c’est que le péquin moyen que nous sommes est devenu un potentiel prestataire de service aussi crédible que certaines grandes marques, et ceci grâce aux évaluations d’autres utilisateurs et aux réseaux sociaux qui permettent de se présenter ouvertement. Qui plus est, suivre les communautés construites par les boîtes de com' pour les grands groupes industriels est bien moins intéressant que de participer à développer une communauté autour d’un service s’avère être utile pour les utilisateurs. Comme le rappelait Robin Chase, le particulier est en train de se faire une place sur la scène économique, plus seulement en tant que consommateur, mais aussi en tant que prestataire de biens et de services. Pour leur parler de l’économie du partage, il est regrettable d'utiliser simplement des arguments de vente destinés à des consommateurs de masse. N'ayant donc pas peur de l'affirmer : en s’intéressant au quotidien de leurs utilisateurs, les services de l’économie collaborative sont plus proches du système D. Et ce serait bête de ne pas se l’avouer juste parce que système D n’est pas un mot “vendeur”. Parlons plutôt par exemple de "système D mis en réseau". Ou si vous voulez, de l’idée de "Mesh"de Lisa Gansky

. Article initialement publié sur le blog de Marc Chataigner Crédit illustration :

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