N’enfermons pas la transition écologique dans une opposition urbain / rural

ENTRETIEN avec Christine Leconte et Sylvain Grisot. Depuis la crise sanitaire, nous assistons semble-t-il à un grand chambardement des territoires. Les “villes moyennes” et rurales feraient leur “grand retour”, accueillant des “parisiens” en quête d’espace et de nature… Mais cette opposition entre urbain et rural fait-elle vraiment sens face aux défis que nous avons à affronter ? L’urbaniste Sylvain Grisot et l’architecte Christine Leconte ont bien voulu répondre à nos questions.

En 2022, vous publiez aux éditions Apogée le livre Réparons la ville ! Qui parle dans ce livre ? L’urbaniste ? L’architecte ? Les deux ?

Sylvain Grisot : Nous n’avons pas écrit le livre en nous disant : il y a un urbaniste d’un côté et une architecte de l’autre. Nous avons voulu décloisonner nos disciplines et penser la ville de façon systémique. On ne prend pas le métier de l’autre : un urbaniste reste un urbaniste ; un architecte, un architecte. Pour autant, on cherche à se mettre à la place de l’autre, à adopter son point de vue. Cette pratique de transdisciplinarité nous semble essentielle pour le futur de la fabrique de la ville. 

Dans votre livre, vous avancez que “L’avenir est aux espaces urbains de toutes tailles”. Quelle est la place de la ruralité vis-à-vis des espaces urbains dont vous parlez ?

S. G. : On surjoue cette opposition rural / urbain alors qu’en réalité, il s’agit d’un continuum ! Les territoires sont d’une grande diversité entre les villages, les banlieues, les métropoles, etc. Mais au fond, tous vivent globalement sur un rythme urbain. 

Christine Leconte : Cette diversité d’espaces est précieuse. Nous devons la préserver. Elle permet une certaine pluralité dans les parcours de vie humaine.

Rennes a peut-être plus de liens avec la Chine et avec la Pologne qu’avec ses territoires voisins et leurs ressources propres !

Quelle serait alors la bonne maille, la bonne catégorie à mobiliser pour penser et agir dans les territoires ?

C. L. : C’est la notion de bassin de vie qui doit structurer notre appréhension des territoires. L’approche territoriale de la biorégion est très intéressante en ce sens, car elle commence par se poser la question de la satisfaction de nos besoins primaires à l’échelle d’un territoire : où trouver à manger ? à boire ? où dormir ?

S. G. : Je crois également que ce sont les dynamiques humaines, les trajectoires de vie, qui structurent les territoires. On choisit d’habiter ici ou là en fonction de notre envie d’être à côté d’un certain nombre de services urbains, parce qu’on a peut-être ses enfants qui sont dans des études particulières, parce qu’il y a un certain rapport à l’emploi, etc… Ces décisions sont aussi l’objet des politiques publiques, elles peuvent donc agir à ces endroits-là.

Il faut donc travailler de nouvelles formes de coopération au sein des territoires, de l’urbain vers le rural et vice-versa ?

C. L. : Avec la mondialisation, on a éloigné la ville du monde rural. On va chercher son blé en Ukraine, son granit en Chine, son bois en Pologne, etc. Si on dessinait une carte réelle de son territoire, on verrait qu’il est en réalité très distendu. Rennes a peut-être plus de liens avec la Chine et avec la Pologne qu’avec ses territoires voisins et leurs ressources propres ! Nous devons travailler à retrouver des formes de coopération entre ces mondes qu’on doit désormais cesser d’opposer. La bonne nouvelle, c’est que ces pratiques de coopération émergent ici et là, notamment dans le domaine de l’alimentation, avec les politiques de circuits courts ou les cantines en régie, par exemple. Mais dans d’autres domaines, sur l’utilisation des sols, des matériaux, etc., on est loin d’incarner ces coopérations inter-territoriales. Aujourd’hui, on vend encore nos terres agricoles à la Chine. On les brade pour d’autres pays, alors que c’est notre grenier d’abondance.

Pour planifier la destruction capitalistique de la planète, on a été brillant, mais pour planifier le bon sens, on a beaucoup plus de mal.

S. G. : Aujourd’hui encore, malheureusement, les impensés sont nombreux. En matière de mobilité par exemple : comment est-ce qu’on collabore avec les territoires limitrophes pour sortir du tout-voiture ? Plus de 50% des femmes et des hommes travaillent en dehors des limites administratives de leur lieu de résidence… Dans la construction également, les villes auraient tout intérêt à collaborer avec les agriculteurs pour s'approvisionner en matériaux biosourcés : la paille, le chanvre, etc. 

Comment peut-on faciliter ces coopérations entre territoires ?

S. G. : Pour faire collaborer des mondes qui s’ignorent, on a évidemment besoin de dialogue, d’espaces de rencontres. A cela s’ajoute un préalable : une connaissance fine du territoire, de ses ressources, de ses acteurs et initiatives locales. Un bon début pourrait par exemple consister à arrêter de parler des “villes moyennes”. Une ville moyenne, c’est une généralité qui ne veut strictement rien dire. On peut être une ville moyenne attractive et riche, attractive et pauvre, ou au contraire une ville moyenne repoussoir et pauvre. L’attractivité peut être saisonnière ou annuelle. Il y a donc une granularité très fine à avoir quand on aborde une ville et ses dynamiques de développement. 

Le point de départ de tout projet territorial ne doit pas être “est-ce qu’on peut massifier?” mais “comment on utilise les ressources locales?”

La connaissance des territoires est-elle suffisante ? Les collectivités et l’Etat n’ont-ils pas un rôle à jouer dans ces coopérations ?

C. L. : Aujourd’hui, ce qui manque, c’est une planification de ces coopérations territoriales : une forme de supervision, de pilotage national et local. Pour preuve : on arrive à peine à appliquer en France les bases d’un commerce du biosourcé : il n’y a pas de politique d’achat des matériaux dans des filières de proximité ; on réhabilite des bâtiments avec du polystyrène… Pour planifier la destruction capitalistique de la planète on a été brillant, mais pour planifier le bon sens, on a beaucoup plus de mal.

S. G. : Pour planifier ces coopérations locales, il faut également sortir des projets “démonstrateurs”, censés “passer à l’échelle”. Le point de départ de tout projet territorial ne doit pas être “est-ce qu’on peut massifier?” mais “comment on utilise les ressources locales?”

Comment associe-t-on les citoyens à ces transformations de la ville que vous appelez de vos vœux ?

S. G. : Ces transformations doivent être désirables. Il faut montrer que les enfants pourront à nouveau jouer dans la rue car il n’y aura plus de voitures, qu’il y aura plus de nature en ville et qu’il sera plaisant d’y habiter.

CL : Les enfants sont particulièrement précieux pour cela : leur imagination ne connaît pas de frontières. Lors de la biennale d’architecture et d’urbanisme de Caen, on a demandé à des enfants quelles seraient leurs envies pour la ville. Résultat : ils ont exprimé des choses totalement fantasques, une tyrolienne urbaine par exemple ! Je pense qu’il faut s’inspirer de cette façon de penser la ville comme un espace de jeu, un espace que l’on peut composer et recomposer à l’envi.

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Christine Leconte est présidente du Conseil national de l’ordre des architectes. Sylvain Grisot est urbaniste ; il dirige l’agence dixit.net. Ensemble, ils publient en 2022 Réparons la ville !, aux éditions Apogée.

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Chez Ouishare, nous misons sur les initiatives locales et les coopérations territoriales pour faire advenir la transition écologique. Pour en savoir plus, vous pouvez lire :

> un article qui décrypte notre manifeste et une notion qui y tient une place importante : l’ancrage local

> notre enquête PACT2 sur les territoires pionniers de la transition écologique

> notre étude de cas sur le travail mené avec GRDF pour activer les coopérations territoriales

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