ShareLex: "faire du droit un outil convivial"

Après s’être développée dans des domaines divers, de la science à la cuisine, en passant par la spiritualité, la connaissance open-source va désormais s’étendre au droit, grâce au projet ShareLex. Produire, partager et diffuser une connaissance libre du droit, dans ses aspects théoriques, techniques et empiriques, telle est l’ambition de Sharelex. Mais derrière ce projet, c’est surtout une nouvelle vision de la relation du citoyen au droit que Anne-Laure Brun-Buisson, initiatrice du projet, nous décrit.

OuiShare : Pourquoi as-tu créé ShareLex ?

Anne-Laure Brun-Buisson : Nul n’est censé ignorer la loi et pourtant le droit est devenu inaccessible : trop cher et bien trop compliqué. J’ai voulu créer ShareLex pour répondre à cet enjeux : permettre un accès au droit peu coûteux, simple et concret. Au départ, j’étais surtout tournée vers les besoins liés aux développement de l’entrepreneuriat social, mais l'ambition du projet, nourrie par tous ceux qui y contribuent, le font vivre et évoluer, est clairement de développer ShareLex dans tous les domaines du droit, en particulier ceux qui concernent la vie de tous les jours.

De quelle manière ShareLex répond-il ou prévoit-il de répondre à ce besoin ?

Faciliter l’accès au droit, c’est à la fois en réduire le coût d’accès, en améliorer la compréhension, fluidifier l’accès aux experts et faciliter la circulation d’information. Pour remplir ces objectifs, nous avons développé pour le moment différents types de réponses : le partage des expériences et des modèles, la co-création de solutions (c’est le volet R&D collaborative de ShareLex), et enfin la mise en relation de ceux qui ont des questions avec ceux qui peuvent leur répondre. Plus concrètement, tout cela passe par des ateliers qui se tiennent “In Real Life”, rassemblant juristes, entrepreneurs et autres usagers du droit, avec différents formats d’animation. Très bientôt, un outil collaboratif numérique permettra de poursuivre et élargir les échanges avec des contenus ouverts à tous.

Qui peut contribuer au projet ShareLex ?

ShareLex veut être une ressource construite par et pour les utilisateurs et les experts du droit, donc toute personne qui souhaite découvrir et nourrir les connaissances juridiques sur un thème peut participer ou organiser un atelier. Et, dans l’immédiat, toute personne qui souhaite participer au développement de l’outil numérique est aussi bienvenue ! Nous travaillons aussi à développer ShareLex hors des frontières françaises. ShareLex s’inscrit dans un écosystème de personnes et de projets amis : une communauté d’une soixantaine de personnes qui grandit régulièrement et rassemble des développeurs, des entrepreneurs, et de nombreux juristes.

Quels sont d'après toi les principaux champs d'action dans lesquels la loi pourrait (et devrait) être améliorée,"hackée" ?

Je crois que ce qui gagnerait à être “hacké” avant tout, c’est le rapport du citoyen à la loi.

La loi, qui par définition est impersonnelle, est pour moi l’ultime recours, de même que le recours au juge.

Or, dans notre système de représentation, on attend un peu tout de la loi. On attend qu’elle nous énumère ce que l’on peut faire ou ne pas faire avec les autres, dans tous les domaines. En fait, le droit c’est un peu comme une religion : on attend qu’elle nous expose ce qui est bien ou mal. Cette croyance a mené à un système juridique d’une invraisemblable complexité (et inefficacité), qui doit être “traduite” par des intermédiaires habilités. On croit aussi souvent à tort que la loi doit autoriser à priori, que les zones “grises” sont des zones d’illégalité, mais c’est faux : la loi est là pour interdire ou restreindre. Et ce qui n’est pas interdit, est permis.

La zone grise est une zone d’inconfort, mais c’est aussi une zone de liberté.

J’aimerais que l’on puisse changer ce système de représentation et que l’on fasse une place à une réflexion plus autonome sur les liens que nous voulons créer pour vivre ensemble, ce qui est la fonction de base du droit... C’est la raison pour laquelle ShareLex est un outil collaboratif de partage et de création de solutions juridiques : c’est l’ici et maintenant du droit ! En partageant et profitant de l’expérience des autres et avec l’appui des experts eux-mêmes, on apprend à faire soi-même. On explore ce que la discussion et le cadre juridique actuel permettent de faire sans l’intervention de lois nouvelles.

Plus précisément au regard de l’économie collaborative, quelles seraient les formes juridiques à réinventer ?

Il me semble important par exemple de revisiter la notion d’« intérêt général », de cesser de la lier à un statut juridique et au bénévolat de ses dirigeants pour favoriser son extension à des personnes physiques ou des sociétés commerciales qui oeuvrent pour l'intérêt général. J'aimerais que cette notion soit plus étroitement reliée à celle de création de biens communs. Ceux qui oeuvrent en ce sens, quel que soit leur statut, disposeraient ainsi du même régime, notamment fiscal, que les acteurs traditionnels de l’intérêt général (associations notamment). D’autres réformes pourraient également permettre de libérer la création d’activités indépendantes et la fabrication de biens communs. Il s’agirait par exemple de réduire considérablement les restrictions d’accès à certains métiers notamment artisanaux, ou de simplifier, bien plus encore que ne l’a fait le régime de l’auto-entrepreneur, l’exercice d’une activité individuelle en permettant par exemple de facturer avec un simple numéro de sécurité sociale, sans autre forme d’immatriculation. Dans le champ du conflit, même pénal, je crois beaucoup à la médiation et à la justice "participative", et j'aimerais que ces pratiques se développent, comme c'est le cas au Canada.

Quand considéreras-tu que ShareLex a rempli sa mission ? Que deviendra ShareLex ce jour-là ?

ShareLex aura rempli sa mission lorsque que sera disponible une base de connaissances juridiques de référence pour les citoyens, utile à tout professionnel et tout utilisateur du droit. Cette base comporterait des questions et des réponses actualisées et fiables sur tous les domaines du droit et une vaste bibliothèque de précédents. Au bout du coup, et quite à paraître utopique, notre mission sera remplie quand le droit sera redevenu un outil convivial, favorisant la créativité. À ce moment là, les personnes auront retrouvé leur capacité à s’accorder entre elles par la discussion et seules quelques règles normatives seront nécessaires pour garantir finalement les conditions de ces discussions et prévenir les comportements manifestement violents ou antisociaux. C’est le moment où ShareLex pourrait rejoindre le musée de l’histoire de la co-révolution, avec ses ancêtres préhistoriques que seront peut être devenues nos “démocraties” actuelles... Crédit image :

limaoscarjuliet