Une plateforme pour que les citoyens parlementent

La plateforme Parlement & Citoyens veut ouvrir aux citoyens la possibilité de participer à l'élaboration des lois. Les premières "consultations-enquêtes" seront lancées à l'initiative de deux parlementaires dans quelques jours. Rencontre avec Cyril Lage et Armel Le Coz, qui portent le projet et espèrent donner un nouveau souffle à notre démocratie en échec. Parlement & Citoyens

n'est pas une énième instance de concertation. Ni vraiment un outil de consultation. Et sans doute un peu plus qu'un espace de travail collaboratif. La plateforme propose aux citoyens de participer activement à l'élaboration de propositions de lois, portées par des députés ou sénateurs.

Ensemble, faisons la loi

Ces derniers soumettent une question de politique publique documentée aux internautes, qui peuvent partager leur interprétation du problème posé et leurs propositions pour le résoudre. Les animateurs de la plateforme synthétisent ensuite les contributions, les transmettent à l'élu qu'ils invitent à expliquer publiquement ses arbitrages. Les citoyens peuvent ensuite suivre l'évolution de la proposition de loi dans la procédure parlementaire classique et solliciter publiquement le positionnement de "leur" député ou sénateur. Les "consultations-enquêtes" auxquelles seront conviés les citoyens-internautes à partir du 13 février ont été conçues comme un dispositif expérimental pour mettre en oeuvre les théories de John Dewey, un philosophe pragmatiste, qui préconise une démarche d'enquête et d'expérimentation pour renforcer la démocratie. Le dispositif sera d'ailleurs suivi par un comité scientifique composé de 44 enseignants-chercheurs, parmi lesquels Dominique Bourg, Loïc Blondiaux ou Dominique Cardon. Plus concrètement, explique Armel Le Coz, designer du projet, "il s'agit de travailler ensemble à la résolution de problèmes", de réaliser des diagnostics. Et même d'enquêter publiquement sur des sujets qui ne seront pas anecdotiques, promettent les fondateurs : "Les consultations porteront sur "du lourd", des questions inscrites à l'agenda gouvernemental".

Transparence radicale à toutes les étapes du processus de consultation

L'ensemble du processus de consultation se déroulera sur une période d'environ 6 mois. La phase de contribution des internautes n'en sera que la première étape, dont la synthèse alimentera un débat web-diffusé et des "réunions de consensus", avant la rédaction du texte de loi par le parlementaire ayant lancé la consultation. Les critères de transparence affichés par l'équipe pour chacune de ces étapes, sont très exigeants, témoignant d'une volonté ferme de se distinguer des processus de consultation classique :

Trop souvent, les citoyens envoient leurs idées dans une boîte noire… Sur Parlement & Citoyens, même la poubelle sera accessible.

Autrement dit, la nécessaire modération du site se fera aux yeux de tous. Les utilisateurs seront invités à transmettre leurs idées et recommandations pour améliorer encore cette fluidité. Autre originalité, la plateforme donnera la possibilité aux internautes de se mobiliser pour diffuser chacune des propositions co-élaborées. Surtout, chaque participant pourra soumettre la proposition à l'élu de sa circonscription et suivre les suites que ce dernier lui donnera (co-signature ou opposition). Pour Cyril Lage, l'initiateur de Parlement & Citoyens, ce procédé de pétition inversée "mettra les parlementaires en situation de prendre leur responsabilité".

Sortir de l'habillage démocratique pour mettre en avant des solutions

À l'origine du projet, un ex-lobbyiste, un designer de services, deux développeurs web et une philosophe, tous les cinq férus d'OpenGov, de processus participatifs, d'innovation démocratique. Les dysfonctionnements de la démocratie ne les découragent pas, au contraire : ils veulent agir positivement. "S'il est légitime de critiquer inefficacité et dérives, explique Cyril, il faut se mobiliser autour des hommes politiques qui portent des solutions". Mais il fait aussi le constat de la difficulté pour les élus à faire fi du fait majoritaire : "Les élus sont eux-même verrouillés par le système d'investiture partisane". La mobilisation et la participation citoyennes est selon lui le moyen de contrebalancer ces loyautés et la force des lobbies.

Nous voulons valoriser ceux qui font bien plutôt que critiquer ceux qui font mal

Pour autant, pas question de lier étroitement le projet à telle ou telle personnalité ou parti politique. L'équipe de Parlement & Citoyens tient à son indépendance : depuis 2011, ils travaillent tous bénévolement (et d'arrache-pied) sur le projet.. "Nous ne voulions pas transiger avec nos convictions, nous avons décidé de montrer d'abord l'utilité sociale de la plateforme. Nous irons chercher des financements après" précise Cyril. Les partenaires ont été choisis dans une logique pluraliste visant à impliquer parmi tous les partis représentés à l'Assemblée nationale. Pour augmenter sa capacité à faire connaître le projet au grand public, l'équipe de Parlement & Citoyens a décidé de s'adosser à des think tanks et fondations de chaque couleur politique. Cette "neutralité" assurée, les partenariats seront ensuite ouverts à toute structure souhaitant s'associer au projet.

Démocratie ouverte, un collectif francophone pour promouvoir l'OpenGov

Le projet Parlement & Citoyens a donné lieu à la création d'un collectif international francophone qui promeut la démocratie ouverte par publication de contenus, l'organisation d'événements et d'actions de lobbying. Le collectif a très rapidement connu ses premiers succès au Québec, dont le gouvernement s'est engagé à devenir un gouvernement ouvert, et a porté les propositions du collectif lors de la dernière rencontre des chefs d'Etats francophones à Kinshasa. Et en France ? "L'écoute est bonne de la part des nouvelles équipes EtaLab (instance gouvernementale en charge de l'ouverture des données publiques, NDLR)", mais pour l'instant, rien de concret, si ce n'est une compréhension meilleure des enjeux de la démocratie ouverte, exprimée par la voix de Jérôme Filippini à la tête du Secrétariat général pour la modernisation de l'Action Publique (SGMAP) lors du DataTuesday du 15 janvier dernier.

Un nouveau souffle pour la démocratie ?

Pour les tenants de l'OpenGov, le statu quo n'est pas possible. L'inefficacité des politiques publiques et le manque de confiance des citoyens dans les institutions sont les principaux signes de l'échec du système démocratique actuel, qui ouvrirait une voie logique : celle d'un nouveau fonctionnement "bottom-up". Mais, comme le soulignent Cyril et Armel, "l'autre issue possible à cet échec, c'est le repli sur soi", qu'ils souhaitent éviter en montrant que l'ouverture est au contraire "une bonne carte à jouer pour les politiques". Ils sont plutôt confiants : de gauche comme de droite, et pour des raisons diverses, des parlementaires s'intéressent à cette question de l'ouverture et de la collaboration directe avec les citoyens qui dépasse la logique de simple consultation. Une nouvelle césure pourrait apparaître et prendre le pas sur le clivage droite/gauche :

Il y aura ceux qui sont pour le "faire ensemble" et les autres

Parlement & Citoyens ouvre une porte, fournit un outil expérimental pour l'élaboration citoyenne de la loi. Reste à savoir si les premier concernés - les déçus du "système" - s'en saisiront. L'équipe estime qu'il faudrait environ 10.000 inscrits sur le site pour que l'expérimentation devienne vraiment intéressante. Citoyens, vous savez ce qu'il vous reste à faire