Cet article a initialement été publié dans le numéro 16 du magazine Socialter.
Les initiatives civiques qui émergent autour de nous sont de plus en plus nombreuses. On ne peut que s’en réjouir. Hier encore, quelques farfelus idéalistes se battaient pour faire vivre des projets auxquels la plupart d’entre nous n’attachaient pas la moindre importance. Aujourd’hui, l’économie collaborative, l’entrepreneuriat social, les « civic tech », « green tech », « social tech » ont le vent en poupe.
On les voit partout, incarnées sous les traits de jeunes actifs prêts à en découdre avec le vieux monde. Ils sont jeunes, beaux, maîtrisent le verbe et les réseaux sociaux comme personne, pensent « stratégie de développement », « plan média » et « business opportunity ». Ils parlent de « boulevard » à propos des espaces commerciaux ou médiatiques dans lesquels ils s’engouffrent. Ils ont la fougue de leur jeunesse et l’avantage de l’âge, conscients qu’aucun cabinet de conseil ni aucune entreprise n’a senti venir le truc !
Ils ont la fougue de leur jeunesse et l’avantage de l’âge, conscients qu’aucun cabinet de conseil ni aucune entreprise n’a senti venir le truc !
Souvent, ils veulent changer le monde. A minima, ils ne veulent pas le subir. Alors ils construisent leur discours contre une élite dépassée, une génération qui nous a tout pris, un monde à reconstruire car il nous appartient autant qu’à eux. Face à Goliath, David a toujours ce petit quelque chose qui lui vaut le soutien du public. Il y a parfois un certain décalage entre la radicalité des discours et le manque d’aplomb des actions qui en découlent, mais que voulez vous ? Il faut que jeunesse se passe. De toute évidence, ce n’est pas dans les salons de l’Élysée, lors d’un dîner avec Emmanuel Macron, d’un tête-à-tête avec Jacques Attali ou d’une conférence inspirante qu’on change le monde.
Au nom d’une insurrection qui vient (1), alpaguer publiquement nos aînés pour leur dire tout le mal qu’on en pense est devenu un positionnement marketing et stratégique plutôt efficace, au service d’une carrière. Mais au lieu de se serrer les coudes, ces activistes d’un nouveau genre deviennent peu à peu concurrents au sein d’un espace exigu. Concurrents face aux entreprises et fondations qui les financent, concurrents lors de concours de « like » qui nous polluent l’esprit, concurrents pour aller séduire des politiques qui les adoubent, sans que tout cela change radicalement la donne. Quant à ceux qui refusent d’entrer dans la partie, la portée de leurs actions s’en trouve nécessairement réduite par l’absence de soutien politique et financier.
La plupart de celles et ceux qui incarnent la nouvelle génération d’activistes ne croient pas au grand soir.
La plupart de celles et ceux qui incarnent la nouvelle génération d’activistes ne croient pas au grand soir. Ils veulent « hacker le système » de l’intérieur, être le ver dans la pomme. Mais le ver ne s’attaque pas à l’arbre, encore moins à la racine. Voilà pourquoi les dominants se délectent de voir ce que l’avenir leur promet : la garantie de l’immobilité. Un ancien ministre candidat à la primaire de droite me disait récemment avec beaucoup d’aplomb que certains élus – il parlait de lui – voulaient vraiment changer les choses. Au bout de trente ans de carrière, il avait au moins fini par s’en convaincre lui-même.
Ce n’est plus tant d’hommes ou de femmes politiques dont nous avons besoin, mais de légions romaines.
Ce n’est plus tant d’hommes ou de femmes politiques dont nous avons besoin, mais de légions romaines. Des organisations structurées, soudées, solidaires les unes des autres, organisées pour renverser la vapeur et pourquoi pas – rêvons un peu – transformer un système à bout de souffle. Et si je suis bien incapable de vous dire comment les choses doivent changer, j’ai la naïveté de croire que plus de transparence, d’honnêteté, de démocratie, de justice, de parité et d’éducation seraient un bon début. Que moins d’ego, de corruption, d’inaction et de flatteries seraient une suite crédible. Ce dont je suis en revanche certain, c’est que les idées neuves viendront de là où on ne les attend pas, c’est-à-dire de là où on en a le plus besoin. Voilà pourquoi elles doivent être portées par celles et ceux qui les incarnent, loin de tout plan de carrière ou d’une quelconque tentative de récupération idéologique et politique.
Pour diffuser ces idées, s’emparer des débats, proposer un projet politique digne de la société dans laquelle nous sommes si nombreux à aspirer à vivre, les logiques individuelles n’ont plus de raison d’être. Nous avons déjà l’avantage d’être nous. Comme disait Joey Starr, « On œuvre dans l’ombre / Ayant conscience de notre force / La force du nombre ».
(1) Cf. l’essai politique publié par un « Comité invisible » intitulé L’Insurrection qui vient, La fabrique, Paris, 2007.
NAS & NTM - Affirmative Action / Chacun Sa Mafia - 1996