L'UE peut bien sombrer, l'Europe des peuples est en marche

L’Europe des individus est bien vivante, mais ne pourra continuer à grandir que si nous conservons le droit de circuler en toute liberté.

Malgré les cris d'orfraie, les craintes et les critiques qui ont suivi le Brexit sur le délitement du projet Européen, une autre Europe est en marche. L’Europe des individus est bien vivante, mais ne pourra continuer à grandir qu'à une condition : que nous conservions le droit de circuler et de nous rencontrer librement.

Entre stupeur, tristesse et déception, de droite à gauche, tout le monde faisait à peu près le même diagnostic en découvrant les titres des journaux au lendemain du Brexit. « Coup de tonnerre », « onde de choc », « tremblement de terre ». En plus de rouler du mauvais côté, les britanniques se croient donc assez malin pour survivre sans nous sur leur île ?

53% des anglais ont voté contre une Europe qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ignorent, et parfois, qu’ils subissent. Peut-on vraiment leur reprocher ? Honnêtement, autour de vous combien de personnes savent vous expliquer à quoi sert la Commission Européenne ? Et le Conseil de l’Europe ? Tout cela est même si abstrait qu’on préfère dire Bruxelles pour n’avoir à citer personne, puisqu’on n’a jamais vraiment trop su qui décide de quoi, ni comment. Reste que dans l’imaginaire collectif, celui des gens normaux, Bruxelles, ce sont des hommes plutôt vieux, pour qui on n’a jamais voté, qui mettent des costumes sombres et qui se font prendre en photo devant un fond bleu orné de petites étoiles. Depuis quelques temps, on soupçonne aussi que ces gens soient de mèche avec quelques grandes banques internationales.

On reprochera donc pendant quelques années à ces 53% d’Anglais vieux, réactionnaires, nostalgiques de Churchill et de l’empire Britannique d’avoir affaibli l’Europe et planté un couteau dans le dos leurs petits-enfants.

On reprochera donc pendant quelques années à ces 53% d’Anglais vieux, réactionnaires, nostalgiques de Churchill et de l’empire Britannique d’avoir affaibli l’Europe et planté un couteau dans le dos leurs petits-enfants. Si l’Europe se divise, l’Europe s’affaiblit. Car l’Europe se construit aussi sur une histoire. Celle de la fraternité des peuples qui bien aidés par les instincts belliqueux de leurs dirigeants, se sont trop longtemps tapé dessus, avant d’admettre qu’il était plus agréable pour tout le monde de rester en bons termes avec ses voisins. Le fil narratif de la construction européenne est même plein de signifiants quand au mythe et à l’idéal qu’il doit incarner : Schuman, Monnet, Spaak et Adenauer, les pères fondateurs visionnaires et pacifistes ; le couple franco-allemand, les traités de Paris, de Rome. Voilà donc une grande famille construite au fil des années, fragile certes, mais qui demeure la meilleure arme contre la folie d’une nouvelle guerre et la monté des nationalismes.

Une Europe de la solidarité ?

Mais voila que les anglais s’en vont, en balayant tout cela d’un revers de main. Et comme après une rupture amoureuse un peu dure, on ressasse le passé en se remémorant toutes les fois on aurait dû agir autrement. Peut-être que l’Europe n’est pas tout à fait à l’image de ce qu’elle prétend être, et qu’elle n’a pas toujours pris la bonne direction. Peut-être que la Grèce a montré que la BCE pouvait littéralement tenir un gouvernement par l’entre-jambes, et qu’avec 25% de chômage et des retraites misérables, le marché commun et le libéralisme béat n’offrent pas les perspectives promises.

Quant aux migrants, de Lesbos à Calais, les images terribles publiées chaque jour dans les médias nous rappellent que l’idéal humaniste et bien-pensant de la construction européenne (et du “plus jamais ça”) se limite grosso modo à ceux qui sont nés du bon coté de la Méditerranée. Tous les hommes naissent libres et égaux en droits, surtout le droit de rester chez eux ! En témoignent les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy, la tentation de refermer les frontière est de plus en plus forte, alimentée par la menace d’un nouvel attentat et notre aspiration légitime à vivre en sécurité. Or, c'est précisément le contraire qu'il faut faire ! La seule chose qui peut sauver l’Europe d’elle-même, c’est justement Schengen et cette liberté qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Cette Europe-là n’est pas un marché, ni une institution. C’est un lieu de vie, un terrain de jeu social, culturel et professionnel pour toute une génération.

Schengen mon amour

Parmi les réactions de tous nos politiques, on a beaucoup entendu que l’Europe doit redevenir une Europe des peuples ! L’a-t-elle jamais été ? Avec tout l’aplomb nécessaire pour faire bonne figure face aux médias, tout le monde semble à peu près d’accord pour dire qu’il faut mettre le citoyen au coeur du processus. Sauf qu’on ne sait même plus de quelle Europe on parle. Du marché commun, de l’UE, de la zone Euro, de Schengen, d’une éventuelle Europe Fédérale ? En parallèle de tout cela, il existe une Europe bien vivante et en pleine forme, c’est l’Europe des gens, d’autres diront l’Europe des peuples. Celle qui se construit depuis trente ans au gré des rencontres et des voyages.

Cette Europe-là n’est pas un marché, ni une institution. C’est un lieu de vie, un terrain de jeu social, culturel et professionnel pour toute une génération. Plus de 3 millions d’étudiants sont allés vivre dans un autre pays depuis la création du programme Erasmus. C’est toute une génération qui n’a pas connu le mur de Berlin et pour qui Stockholm, Prague et Séville ne sont pas tellement plus éloignées que Bastille de Châtelet. Au-delà de ses institutions, de sa technocratie, l’Europe grandira tant que les européens auront la chance de se rencontrer, d’échanger, de se lier d’amitié les uns avec les autres. A ce titre, EasyJet, Vueling et Transavia ont probablement plus contribué à l’émergence de cette fameuse Europe des peuples que nos dix derniers gouvernements réunis.

N’en voulons pas aux anglais, ils ont peut-être tiré une sonnette d’alarme à laquelle personne n’osait toucher. Espérons que le Brexit aura l’effet inverse à celui qu’on nous prédit. Plutôt qu’un effet domino, qu’il sera l’étincelle nécessaire pour reconnecter les institutions à ceux pour qui elles ont été conçues. Dans tous les cas, tant que nous serons libres de nous déplacer et de nous rencontrer, l’Europe grandira. Car au fond, le véritable projet collectif, c’est être ensemble, et vivre ensemble. Le reste suivra.