"Place à l'innovation monétaire !"

Les 21 et 22 novembre prochains, SYMBA, Numa et OuiShare s'associent pour organiser le MoneyFest et étudier l'innovation monétaire. Entretien avec Paul Richardet (Numa) et Etienne Hayem (SYMBA)

L'Etat est-il en train de perdre le monopole de la création monétaire ? Entre local et virtuel, la monnaie suscite en tout cas aujourd'hui bien des interrogations. Afin de dresser un état des lieux - provisoire - de la question monétaire, SYMBA, Numa et OuiShare organisent les 21 et 22 novembre prochains le MoneyFest (informations et inscriptions ici). Entretien avec Paul Richardet (Numa) et Etienne Hayem (SYMBA).

Pourquoi la monnaie fait-elle aujourd’hui l’objet de débats aussi animés ?

Paul Richardet. Mais parce que chaque citoyen se pose aujourd’hui des questions sur les finalités de la monnaie. Et c’est normal : préoccupations sur le pouvoir d’achat, sur la place et le rôle de l’industrie financière, sur les niveaux de déficits publics… La monnaie cristallise tout cela. C’est ce qui nous relie en tant qu’individus aux vastes réseaux économiques mondiaux, ce qui concrétise les flux financiers mondiaux - lointains, et donc un peu abstraits - dans la poche de Monsieur Tout-le-monde.

Si nous pouvions, pour une fois, être à l’origine de la prochaine grande mutation plutôt que d’attendre qu’on nous l’impose de l’extérieur...

Le problème, c’est que l’autel du dieu argent chancelle : à force d’entendre parler du risque d’explosion de la zone euro, à force d’assister à des crises à répétition comme celle qui a secoué Chypre l’an dernier, on se rend compte que le système monétaire est finalement loin d’être aussi inébranlable qu’on avait fini par le penser. Etienne Hayem. C’est vrai, la place et la fonction de la monnaie sont aujourd’hui largement remises en question. J’y vois au moins deux raisons. Nous percevons de plus en plus nettement que pour ce qui compte vraiment, bizarrement, l’argent a tendance à manquer : elle n’irrigue pas les biens communs, elle ignore la question du bien être et ne parvient pas à valoriser correctement les impacts environnementaux. On peut par exemple évoquer Notre-Dame-des-Landes, mais le cas est loin d’être unique : partout dans le monde, nous sommes les témoins de cette guerre du béton contre l’environnement. Bref, la monnaie n’alimente pas les externalités positives. Pourquoi ? Max Weber disait que nous étions passé d’une “économie du salut au salut par l’économie”. Ce qu’on choisit de valoriser et de compttabiliser dépend de nos choix politiques, et donc, in fine, de notre vision du monde.

Explosion des devises locales, mode des monnaies virtuelles… Nous parlons d’un phénomène qui n’est pas si facile à appréhender dans sa globalité. Où se situe vraiment l’innovation dans tout ça ?

E. H. Les monnaies complémentaires ne sont pas à proprement parler quelque chose de nouveau. Au Moyen Âge par exemple, il y avait la monnaie du roi et la monnaie du seigneur ! Pour ce qui est des monnaies locales, nous assistons à un retour de cycle, accéléré par la raréfaction de la monnaie “traditionnelle”. Ce qui est inédit, c’est l’explosion des monnaies virtuelles, à la faveur du succès du Bitcoin - dont l’intérêt principal réside dans la technologie sous-jacente, le Blockchain, plutôt que dans la monnaie elle-même - qui joue un peu le rôle que Napster a pu jouer il y a une quinzaine d’années. La monnaie est un code source et une convention sociale. La voie locale et la voie digitale sont deux façons différentes d’aborder cette réalité. On compte environ 5 000 monnaies complémentaires dans le monde. En France, il en existe une trentaine, auxquelles il faut ajouter une bonne vingtaine en cours de création et 830 SEL. Cela fait maintenant 5 ans que le Bitcoin est en circulation, et de nouvelles expérimentations du même type (Faircoin, Dogecoin, etc.) lui emboîtent le pas. Une loi sur les monnaies locales complémentaires est par ailleurs déjà sortie en France en Juillet 2014.

Paul, on te connaît plutôt sur le terrain du numérique et des startups. Qu’est-ce qui te pousse à te pencher cette fois sur la question de la monnaie ?

P. R. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler sur des sujets d’avenir, quels qu’ils soient. Nous voyons aujourd’hui des filières entières qui sont bouleversées par l’arrivée de nouveaux arrivants. Je trouve plus constructif de rassembler les acteurs traditionnels et acteurs de l’innovation dans une même pièce : on ne sait jamais, des synergies pourraient bien se créer ! Ne serait-ce que parce que les jeunes ont besoin de structure, et que les anciens ont besoin qu’on leur donne des clés pour comprendre ce qui se passe. La monnaie ne fait pas exception : elle touche au commerce, à la finance, au rôle des Etats, aux relations internationales, etc. Très honnêtement, je ne sais pas ce que sera la monnaie dans 15 ans. Tout est possible. Il faut absolument que nous nous posions des questions maintenant, en France et en Europe. Si nous pouvions, pour une fois, être à l’origine de la prochaine grande mutation plutôt que d’attendre qu’on nous l’impose de l’extérieur...

Etienne, de ton côté, qu’attends-tu d’un événement dédié à l’innovation monétaire ? Tu as une petite idée derrière la tête, non ?

E. H. Bien sûr ! Beaucoup de voies sont aujourd’hui explorées, mais les promoteurs des différents systèmes monétaires alternatifs se parlent trop peu. Je fais moi-même partie des initiateurs d’une monnaie alternative pour l’ Ile-de-France, le SYMBA.

Toutes les monnaies alternatives qui existent aujourd’hui posent des questions tout en apportant des réponses partielles. Et c’est très bien comme ça

Pour moi, il s’agit surtout d’une démarche de cocréation et de réflexion sur la question monétaire. C’est vrai, il existe un véritable bouillonnement dans ce domaine, mais très honnêtement, personne n’a encore trouvé la formule magique. Toutes les monnaies alternatives qui existent aujourd’hui posent des questions tout en apportant des réponses partielles. Et c’est très bien comme ça : l’aventure est ouverte. Asseyons-nous autour d’une table et parlons-en.

On le sait bien, ceux qui s’investissent dans les communs et dans le libre peinent bien souvent à en vivre. Inventer un système monétaire alternatif pourrait-il être une partie de la solution ?

P. R. Tout l’enjeu est là : trouver une manière de monétiser le libre, le don et la contribution. C’est vrai que lorsque l’on organise des événements, il est souvent plus facile de trouver des financements pour parler de marketing ou de relation client que pour parler d’innovation ouverte et communautaire ! Les modèles économiques sont en mutation et quelquefois très instables. Cela rappelle ce qui se passe depuis longtemps dans le logiciel libre : on y développe des solutions qui sont souvent plus agiles et plus performantes que n’importe quel modèle propriétaire, et pourtant, ceux qui s’y investissent trouvent dans la phase initiale une difficulté à monétiser leurs travaux. Au bout d’un moment, il faut poser la question qui fâche : si personne n’obtient de rémunération stable, ces nouveaux modèles ne détruisent-ils pas de la valeur ? Il serait utile de répondre à cette question par la pratique, en imaginant une monnaie intermédiaire qui valorise les contributions, une monnaie qui puisse se convertir et se matérialiser dans les circuits de l’économie réelle. Aujourd’hui, ce sont les plateformes - les serveurs et les réseaux - et les grands donneurs d’ordres qui absorbent une part substantielle de la valeur, quand les petites mains, les créateurs de contenus ne ramassent que les miettes. Il est temps d’ouvrir le débat pour mieux penser la répartition des revenus en ligne. E. H. Nous sommes en train de vivre un tournant historique : la sortie d’une économie dominée par la rareté. Nos outils monétaires ont été pensés dans ce contexte et sont conçus pour optimiser la gestion de moyens de production rares. Aujourd’hui, la monnaie crée de la rareté et de l’inégalité là où elles n’a plus lieu d’être. Elle n’est pas faite pour l’ère de l’abondance qui s’annonce. Place à l’innovation monétaire!   >> Pour plus d'informations sur le MoneyFest et pour vous inscrire à l'événement, cliquez ici