Entre septembre 2020 et mars 2021, nous avons accompagné l’Assurance retraite pour déterminer comment faire évoluer l’offre de services de demande de retraite en ligne. L’idée ? Que le parcours de la retraite, de la première déclaration de revenus jusqu’au versement de l’indemnisation, corresponde mieux au vécu de ses cibles : les personnes assurées.
[Attention, divulgâcheur] La fin de cette mission a vu germer un constat. On pourrait l’appliquer à deux personnes qui se rencontrent enfin après avoir tant entendu parler l’une de l’autre, et qui se sentent capables de refaire le monde ensemble. Les professionnel-les de la retraite, personnes aidant-es et assuré-es (1) ont ainsi collaboré au fil de cette mission, apprenant à travailler ensemble pour améliorer un service public qui les concerne différemment - et c’est ce qui a fait toute l’originalité de ce projet. En un mot : pour améliorer le service public de la retraite, la collaboration de celles et ceux que ça concerne directement avec les travailleur-es de la retraite est essentielle.
D’un taux de clic à une expérience humaine [🍎 genèse]
Au commencement était un objectif chiffré, appelé R07 (tenez bon, ce n’est que le début des acronymes). L’indicateur « R07 », hérité de la Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) (2) 2018-2022 de l’Assurance retraite, mesure en pourcentage le taux de personnes assurées qui déposent leur demande de retraite en ligne - et non en papier, par la poste ou au guichet d’une agence retraite. Cette convention s’inscrit dans la politique de dématérialisation des services publics. La COG fixe pour chacune des cinq années qu’elle couvre un objectif à atteindre, après négociation entre la CNAV et sa tutelle : en 2019, elle indique ainsi qu’au moins 30 % des demandes de retraite devraient être déposées en ligne, sur l’ensemble du territoire français. Ce taux fixé par l’Etat augmente au fil des années, jusqu’à atteindre 55% (3) en 2022.
L’évolution de ce taux dans l’ensemble des agences de retraite, sur le terrain, a été examinée à la loupe : de fortes disparités, d’un territoire à l’autre, ont été observées. Dans certaines, plus des deux tiers des demandes de départ à la retraite étaient réalisées en ligne alors que dans d’autres, cela concernait un petit tiers. Fortes de ce constat, deux Caisses d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail (les CARSAT, vous suivez ?) se sont emparées de cette problématique : la CARSAT du Centre-Val-de-Loire et la CARSAT de Rhône-Alpes. Ces deux caisses ont ainsi constitué nos deux terrains d’expérimentation. Voici la problématique que ces trois acteurs nous ont soumise dans un premier temps : « Quels sont les leviers et les freins liés à la demande unique inter-régimes de retraite en ligne (DUIRRL) ? Comment co-innover pour développer le dépôt en ligne de la demande de retraite ? ».
Les premiers entretiens ont confirmé une hypothèse de la direction de l’Assurance retraite : le problème ne se situait pas au moment du dépôt de la demande de retraite, mais bien en amont. Nos échanges avec des personnes sur le point d’être retraitées, mais aussi avec des assistantes sociales, des agent-es d’accueil, des conseiller-es retraite ont montré que certains besoins des assuré-es n’étaient pas comblés par le service public. Que la retraite était loin d’être une formalité administrative simple à évacuer, mais bien une étape dans la vie. Ce diagnostic nous a permis d’identifier un besoin de sécurité psychique et émotionnelle. Surtout, nous nous sommes permis un pas de côté par rapport à la commande initiale, et d’un commun accord avec les assuré-es et l’Assurance retraite, nous avons décidé de considérer la démarche de la retraite dans sa globalité, en tant que processus qui génère de l’anxiété, marque un changement de statut et implique des choix parfois lourds de conséquences (Est-ce que j’ai intérêt à partir en retraite anticipée ? etc.).
Ce pas de côté a abouti à un remaniement de la problématique : quelles sont les caractéristiques intrinsèques à la retraite qui génèrent de l’insécurité ? Comment permettre aux assurés de cheminer vers la retraite sereinement ? Ce remaniement de problématique peut sembler anodin, hors sol, théorique. Il n’en est rien. Il reflète la façon de travailler de Ouishare : nous nous attachons à toujours faire primer nos observations et interactions sur le terrain sur les hypothèses de départ. Quitte à remettre en question les objectifs annoncés par la structure accompagnée.
L’animation d’ateliers collaboratifs mixtes, une approche inédite [⚙️mode opératoire]
L’originalité de notre démarche tient aussi à la population que nous avons réunie lors d’ateliers collaboratifs. Nous avons assemblé autour d’une table - virtuelle, pour notre plus grand regret, en raison de la crise sanitaire - des personnes retraitées ou sur le point de l’être aux côtés de personnes aidantes, ainsi que des travailleur-ses de la retraite : conseiller-es téléphoniques, conseiller-es d’agence, assistantes sociales, directeur-ice d’agence … Ainsi, pendant une heure et demi, ces personnes aux profils, responsabilités et nature d’implication dans ce service public très variés ont réfléchi ensemble aux causes de ce sentiment d’insécurité et aux solutions à imaginer. Il n’était pas rare, alors, d’entendre en fin d’atelier un-e participant-e partager son émotion d’avoir « découvert les personnes au service desquelles (elle) travaille », ou d’avoir « été surprise de l’écoute et de l’engagement des travailleur-ses de la retraite ». Line, co-pilote du projet côté Assurance retraite, témoignait ainsi : « Ce qui a fait partenariat, dans cette démarche, c’est le fait de partager un objectif commun, celui de proposer un service public proche des besoins des personnes ».
En coulisses, le design de ces ateliers était co-construit avec nos partenaires de l’Assurance retraite. Une collaboration qui relevait parfois du défi d’équilibriste, afin de concilier des approches pouvant être différentes. A plusieurs reprises, l’objectif des ateliers a fait débat. D’un côté était exprimée la volonté de créer de la confiance et du lien avant toute chose, de l’autre, l’envie de réunir les conditions propices à l’expression de préconisations précises, quitte à proposer des exercices denses et exigeants aux participant-es. Loin d’avoir trouvé une solution miracle, nous n’avons eu de cesse d’équilibrer les déroulés de nos ateliers, alternant les temps d’échanges informels et les activités encadrées et productives. Quinze minutes de discussion informelle, puis vingt minutes pour effectuer un exercice en petit groupe, ... Le témoignage de Clara de la CNAV vaut tous les mots : « J’ai appris que les temps morts n’étaient pas des temps morts. »
La formalisation de propositions émanant d’un collectif [📚nos apprentissages]
Cette démarche a été source d’apprentissage à deux égards : sur la forme et sur le fond.
Sur la forme, d’abord : la démarche a généré un lien social entre toutes les parties prenantes du projet. « On a fonctionné comme un collectif », affirme Clara en clôture du projet. La formule semble forte, direz-vous. Elle a le mérite de révéler le sentiment d’appartenir à un groupe soudé qui a prévalu en Rhône-Alpes comme en Centre-Val-de-Loire. Ce sentiment a été décuplé par un facteur : la plupart des participant-es des ateliers collaboratifs revenaient d’une date à l’autre.
Sur le fond, ensuite. Associer les premier-es concerné-es aux réflexions sur la retraite a permis d'aboutir à des propositions qui sonnent juste, aux oreilles des personnes assurées, des personnes aidantes et des professionnel-les de la retraite.
De ces séances de travail en collectif, nous avons retenu neuf pistes d’action, intimement liées aux besoins et vécus identifiés (4). Elles concernent les assuré-es, mais aussi les personnes aidantes et les entreprises. Pour chacune d’elles, des manières concrètes de les décliner en ligne et/ou hors ligne ont été proposées. Parmi elles, on trouve entre autres :
- le Rendez-vous express, un entretien d’une dizaine de minutes entre un-e agent-e retraite et une personne assurée pour déblayer les premières questions : quand ? combien ? quels jalons ?
- un accès privilégié pour les personnes aidantes, qui peut prendre la forme d’un répondeur personnalisé sur le numéro du 3960, adressé aux personnes aidantes.
- un dispositif de sensibilisation renforcé dans les entreprises, pour améliorer la connaissance de la retraite par les actif-ves
Après avoir clôturé le dernier atelier et finalisé le rapport de l’Assurance retraite sur ces questions, nous souhaitons continuer à accompagner les institutions pour proposer un service public plus juste, plus proche des vécus et besoins des premier-es concerné-es. Nous entendons continuer à récolter et amplifier la voix des personnes qui vivent en situation de précarité, et déclencher des moments de rencontre entre elles et les agent-es du pouvoir public.
Si vous souhaitez en savoir plus ou travailler avec nous sur ces questions, n'hésitez pas à écrire à Bérénice (berenice.stagnara@ouishare.net).
(1) Un-e assuré-e, c’est une personne assurée par une police d’assurance, qui les protège contre certains risques de préjudice financier. Dans notre cas, il s’agit des personnes qui vont recevoir une pension retraite qui les protège de la précarité financière liée à l’arrêt de leur activité économique.
(2) Un document officiel, émanant du Gouvernement, qui fixe les objectifs que la CNAV, organisme de sécurité sociale autonome, doit atteindre en 5 ans.
(3) I.e. en 2022, 55% des demandes de retraite doivent avoir été effectuées en ligne.
(4) Vous pouvez les lire dans leur intégralité dans ce Livrable final d’expérimentation